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dimanche 15 juillet 2012

Courage, ma fille, courage!

[Dans les écrits de Mère Marie de Jésus Deluil-Martiny. Lettre d'encouragement dans la vie spirituelle.]

21 avril 1876.

Courage, ma fille, courage ! Jésus mérite bien que nous préférions ses intérêts divins aux bas intérêts de notre nature; n’attendons pas que la mort nous en donne trop tard la conviction. C’est à cette dernière heure où tout nous quit tera et où nous quitterons tout, que nous verrons clairement le néant des créatures e du monde, le néant des affections purement humaines, le néant de l’amour-propre, la fou de l’esprit du monde et l’inutilité, le danger même d’une foule de satisfactions naturelles auxquelles nous sommes assez misérables, vous, moi, hélas ! et tant d’autres, pour nous laisser prendre. C’est alors que nous gémirons d’avoir abaissé jusqu’à ce qui est terrestre nos âmes nobles et immortelles, faites pour Dieu, et que lui seul peut satisfaire et remplir.

Apprenons-le dès maintenant, ma fille, laissons les ombres, courons après la réalité. Montons, montons vers ce qui est céleste; car c’est descendre pour nous que de nous coller à ce qui est de la terre et du monde ; c’est descendre. ma fille. Et nous coller à l’amour-propre, à notre volonté aveugle, à notre jugement faussé par le péché, à notre moi corrompu, hideux, ennemi de Jésus-Christ, c’est plus que descendre, c’est nous avilir, nous dégrader, c’est condamner notre éme, elle, qui est le prix du sang précieux de Jésus-Christ, à la nourritur des pourceaux. Et voilà pourtant, ma fille, ce que le monde, et même le monde à demichrétien, appelle monter, s’élever, se grandir, se mettre à sa vraie place ! Voilà ce que, par Ia plus étrange aberration de pensées et de sentiments, ce pauvre monde appelle gloire, honneur, bonheur, noblesse, grandeur. Voilà en quoi il se complaît jusqu’au jour terrible de l’Eternjté, où toutes ces illusions basses et insensées tomberont, où l’on s’éveillera de tous ces rêves, et où il faudra bien reconnaître qu’on s’est trompé qu’entre les affirmations d’un Dieu dans l’Evangile, et du monde dans ses fausses maximes, c’est Dieu qui avait raison !... Oh ! quelle honte alors pour l’âme qui verra qu’appelée à des destinées si hautes, elle s’est roulée dans la poussière ici-bas ! Et, si elle n’est pas allée jusqu’à se rouler dans la boue et qu’elle n’ait pas consommé sa ruine, quelle expiation au moins l’attend en purgatoire ! Et quel malheur pour elle, quel irréparable malheur, si elle a roulé dans la boue, la boue de l’orgueil ou des passions, si elle est tombée d’une existence vide et folle, dans une vie qui tue la vie de la grâce, et si elle est descendue ainsi dans la mort... Tout est fini, tout est perdu. Hélas ! ce n’est point là un rêve d’une imagination ardente, c’est, ma fille, ce qui arrive tous les jours. Tous les jours pour des milliers d’âmes, la mort ferme la porte des illusions, des folies, des frivolités, des adorations de soi-même, des jouissances terrestres et des rébellions contre Dieu ; et ouvre la porte du jugement, de la honte, du désespoir et de la mort éternelle. Tous les jours, la mort pour des milliers d’âmes, d’âmes demi-chrétiennes dans le monde, d’âmes, hélas ! hélas ! demireligieuses dans les cloîtres !... la mort ferme la porte des compromis, des exigences de l’amour-propre, des satisfactions naturelles, des révoltes contre l’autorité, — apparentes ou secrètes, — des complaisances et des flatteries envers soi-même, et envers les créatures, des lâchetés, des fautes volontaires, de l’estime orgueilleuse de son jugement et de ses pensées, des jouissances au détriment du devoir, que sais-je ?... Et la mort ouvre la porte du jugement, de la confusion immense, des regrets amers et des longues tortures expiatrices du purgatoire, loin de Dieu L.. — Oh ! pensez à ce moment terrible : quand une âme religieuse, lâche, souillée, misérable, se trouve pour la première fois, seule, en face de l’Epoux divin délaissé, oublié par elle ; quand elle lui présente sa couronne de fiancée, salie, flétrie, sa robe en lambeaux, ses mains vides, son coeur qui s’est si souvent préféré aux intérêts de Dieu, ses pieds couverts de la poussière du monde, et de la boue de son amour-propre que répondre, où se cacher, et par quelles flammes faudra-t-il qu’elle passe pour refaire son vêtement de gloire et atteindre une place au ciel ?... Que sera-ce si elle a trahi, outragé en face ici-bas, Celui qu’elle devait aimer et faire aimer par-dessus toutes choses ; si elle est noire des souillures de ses rébellions, si elle arrive comme un monstre en face de celui qui l’avait consacrée pour être éternellement sa bien-aimée ?... Je crois que son enfer sera tel qu’aucune expression humaine ne peut le rendre !...

Mais, tous les jours aussi, ma fille, pour bienr des âmes fidèles, la mort adoucie et souriante, ferme comme une bienfaitrice et une amie la porte des tribulations, des douleurs, des sacrifices, des luttes contre la nature et le monde, des mortifications, des humiliations, des travaux obscurs, de l’amour-souffrant, des privations, des angoisses, des persécutions et des mépris soufferts, des critiques endurées de la part des fous du monde, des injustices supportées, des souffrances imposées à la nature, de la pauvreté, des épreuves de tous genres, des combats de l’humilité et de l’obéissance, des efforts persévérants contre le démon et contre soi-même, et elle ouvre la porte de l’éternité bienheureuse, du repos éternel, du bonheur sans fin. O joie ineffable de cette première rencontre face à face avec le Sauveur de nos âmes, purifiées par son sang divin et fidèles à sa loi !... Mais, si c’est une âme consacrée, une âme épouse de Jésus, la voyez-vous, ma fille, se précipitant de la terre avec une joie plus incomparable encore !... Jésus, Marie, tout le ciel arrivent à sa rencontre; l’Epoux divin et l’épouse consacrée se réunissent pour jamais ; plus de pleurs, plus de souffrances, plus de craintes ; elle ne perdra plus son Bien-Aimé, elle le possède dans la gloire, dans l’amour triomphant, elle est vic- torieuse pour l’éternité, elle est dans son Coeur adorable, elle n’en sortira plus. Elle l’a aimé dans l’agonie, elle l’aime dans le bonheur sans mesure et sans terme ; elle jouit de sa gloire, elle règne avec lui pour toujours. Ses douleurs passées sont des diamants attachés à sa couronne; sa pauvreté est devenue une robe étin celante des richesses du ciel ; son humble obéis sance est devenue un trône et un sceptre ; ses humiliations lui sont un manteau royal ; son amour-souffrant lui est une auréole éblouissante; le monde insensé ou méchant, auj la plaignait ou la méprisait ici-bas, le monde est sous ses pieds ; elle est reine, épouse du Roi éternel. Son coeur nage dans une joie sans bornes, qui ne lui sera pas ravie : L’oeil de l’homme n’a point vu, son coeur n’a pas compris, son intelligence n’a pas sondé ce que le divin Epoux des âmes réserve dans le ciel de délices et de gloire à ses bien-aimées. Hâtons-nous, ma fille, courons, souffrons, traversons tout ; armées de la grâce, renversons tous les obstacles ; sacrifions-nous, méprisons-nous, travaillons, mourons et arrivons meurtries mais heureuses, à ce terme où Jésus nous attend. La route est semée d’épines patience, le ciel les vaut bien ; pas à pas, nous atteindrons le but. Suivons la grâce, et selon la mesure qui nous en est donnée, n’accordons rien à la nature, cédons tout à Dieu. A mesure que nous avancerons dans la carrière, la lumière augmentera, la grâce deviendra plus abondante, l’amour divin plus exigeant, nous donnerons davantage; et donnant ainsi d’heure en heure tout ce que Jésus demandera, nous arriverons à la mort, le coeur vide de nous-mêmes mais plein de Dieu, nous l’aurons glorifié par notre entier sacrifice sur la terre, il nous glorifiera et nous béatifiera pour l’éternité. N’attendons plus ; si nous sommes lâches au début, si nous ne suivons pas pleinemènt la grâce de jour en jour, malheur à nous Remettre sa fidélité à plus tard en face d’un Dieu si bon qui ne demande que petit à petit avec une infinie sagesse, mais qui demande le tout qui nous est possible avec la grâce de l’heure présente, de moment en moment, c’est être lâche, ingrate, téméraire; c’est compromettre sa persévérance et risquer la victoire dernière, le trône et la gloire du ciel !

Courage et confiance, Jésus est avec nous.
Allons ! et mourons avec lui !...


[Lettres de Mère Marie de Jésus Deluil-Martiny, fondatrice de la Société des Filles du Cœur de Jésus. - Paris, P. Lethielleux, 1965 – Imprimatur: Luçon, le 11 Octobre 1965. L. Bouet, v. g.]

dimanche 1 juillet 2012

Abandonnez-vous à la bonté de Notre-Seigneur

[Dans les écrits de Mère Marie de Jésus Deluil-Martiny]

A une Postulante

Marseille, 23 avril 1876.

MA CHÈRE PETITE SOEUR,

J’ai bien regretté de ne pouvoir répondre plus tôt à vos lettres, si délicates, si vraiment filiales, et vous envoyer un mot d’encouragement. Mais il a plu à Notre-Seigneur de m’éprouver d’une façon bien douloureuse, par la mort de ma bien-aimée et excellente mère, la seule personne de ma nombreuse famille qui me restait au monde, car j’ai vu mourir tous les autres. Vous pensez que ce nouveau coup a rouvert les anciennes plaies de mon coeur; mais j’adore les desseins de Notre-Seigneur et je baise sa main divine, en répétant le fiat du fond de mon âme. Ma mère est morte comme une sainte ; priez M..., quand vous la verrez, de vous raconter les détails que lui donne à ce sujet ma Soeur X...; ils vous intéresseront. Elle a promis de prier pour vous là-haut, près du Coeur de Jésus.

Je compatis profondément à la peine que doit forcément vous causer l’attente de votre entrée en religion, attente prolongée par Notre-Seigneur lui-même, puisqu’elle est occasionnée, non par votre volonté ou votre choix, mais par des événements de Providence, aussi inattendus que douloureux, auxquels nous ne pouvons rien changer. Persuadez-vous bien, chère enfant, que tout tourne au bien de ceux qui aiment Dieu ces événements de Providence, ces croix imprévues, ces contre-temps inévitables, portent avec eux une grâce que la souffrance nous communique, et qui est plus profitable à nos âmes que la réalisation immédiate de nos plus saints désirs. II faut savoir tout modérer, et vous n’êtes pas la première que Dieu, d’une façon ou d’une autre, arrête au bord de la terre promise et fait mûrir par le retard. Une vocation vaut ce qu’elle coûte, ordinairement : se présenter, être admise, supporter quelques combats intérieurs et quelques petites oppositions de sa famille, qu’est-ce donc pour acheter cette grande grâce de l’entrée et de la persévérance en religion ?... Alors Dieu donne quelque autre épreuve; quelquefois, c’est la santé altérée qui prolonge l’attente, jusqu’à faire parfois craindre de n’arriver jamais; d’autres fois, la famille se réveille tout d’un coup et exige des délais nouveaux; ou un deuil force à tout remettre, vu la désolation et es exigences de l’entourage, etc., etc. Pendant ce temps, la petite plante pousse des racines, le coeur s’échauffe de saints désirs, l’âme se purifie et se détache par le renoncement à ses petits plans de retraite, la vocation se fortifie et se mûrit ; c’est un grand bien. Laissons faire Dieu quand c’est lui qui nous retarde dans l’accomplissement de nos voeux, il n’y a rien à craindre et il y a beaucoup à gagner. Or, jamais ce n’est plus directement Dieu qui agit que dans les événements de Providence, indépendants de notre volonté, comme la maladie, la mort, etc. Je suis consolée de penser que le coup, pour vous donner la grâce consolidante de l’attente, a frappé sur moi, plutôt que sur vous, par un malheur personnel.

Ranimez donc votre courage, et que Notre-Seigneur vous trouve ferme et persévérante; les Vierges sages ne seraient pas entrées au festin des Noces, si, voyant prolonger leur attente dans la nuit, elles s’étaient lassées d’attendre ou si elles étaient allées courir à droite et à gauche en se lamentant et en fouillant tous les chemins par où 1’Epoux pouvait arriver, au lieu de l’attendre là où elles devaient demeurer pour cela ; elles auraient très bien pu, au milieu de leurs recherches, être en une route pendant qu’Il arrivait par l’autre, et, le manquant au passage, arriver trop tard, lorsque les portes étaient closes. Imitez leur patience, leur prévoyance et leur recueillement. Abandonnez-vous à la bonté de Notre-Seigneur, endormez-vous dans les bras de la Providence ; et, au milieu de cette nuit de l’attente, vous ne tarderez pas à entendre crier : « Voici l’Epoux qui vient, allez au devant de Lui ! (1) » Alors, vous vous lèverez, généreuse, et, avec la lampe que vous aurez remplie d’avance de l’huile de vos bonnes oeuvres et de vos sacrifices, vous vous hâterez à la suite du divin Epoux, jusqu’à la salle du festin, dont les portes se fermeront entre le monde et vous pour toujours. Cette heure fortunée va sonner pour vous, ma chère fille, pendant le mois de notre Mère du Ciel. Ainsi, tenez-vous prête. Ecrivez-moj un mot, afin que je sois fixée moi-même sur votre exactitude pour le 25 ou 31 mai. D’ici à ce moment, préparez votre lampe spirituelle, et ne vivez plus que pour Jésus seul. Courage et confiance ! Comptez sur mon affection maternelle et mon entier dévouement; il me tarde de vous voir toute à Jésus.

Priez beaucoup pour ma pauvre mère et pour moi.
MARIE DE JÉSUS.

(1) Matth., 25, 6.

[Lettres de Mère Marie de Jésus Deluil-Martiny, fondatrice de la Société des Filles du Cœur de Jésus. - Paris, P. Lethielleux, 1965 – Imprimatur: Luçon, le 11 Octobre 1965. L. Bouet, v. g.]